Des canons à neige pour sauver les glaciers
Le domaine skiable de l’Alpe d’Huez vient de s’enrichir du plus haut « lac artificiel » d’Europe. Située à 2770 mètres d’altitude, la retenue de l’Herpie est un ouvrage de prestige qui vient enrichir l’espace sauvage de Sarenne. Alpes Ingé et la Société d’Aménagement Touristique de l’Alpe d’Huez (SATA) sont fières d’avoir réussi à creuser une retenue deux fois plus volumineuse que la moyenne, à une aussi haute altitude.
Selon Christian Reverbel de la SATA, cet ouvrage a un intérêt majeur pour « les amoureux de la nature ». En effet, comme le rapportent France 3 et France Inter, « ce lac s’intègre parfaitement au paysage », et permettra de profiter d’un « d’un plan d’eau dans lequel [nous pourrons contempler] le reflet des montagnes environnantes » ! Et surtout, grâce à cet immense bassin, de nombreux canons à neige vont être construits, et « l’eau fondue, retransformée en neige artificielle, permettr[a] de protéger le glacier » de Sarenne. Pour lutter contre le recul du glacier, Christian Reverbel explique s’être rapproché de l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement (CEMAGREF). Si bien que des millions d’euros ont été investis dans ce chantier qui permettra de lutter contre les effets du réchauffement climatique.
Préalablement aux travaux, le commissaire enquêteur donnait raison à Christian Reverbel, et expliquait que l’enneigement artificiel du glacier pourrait retarder sa disparition. Le commissaire écrivait également dans son rapport que ce bassin pourrait être « un plus pour la faune et la flore », et ne comprenait pas pourquoi la fédération de pêche de l’Isère s’opposait au projet. Par la même occasion, le commissaire survolait les données hydrologiques, et omettait de signaler que le chantier devait se dérouler dans une Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique, située en amont d’une zone humide protégée par un arrêté préfectoral de protection de biotope.
Cet été, période durant laquelle les animaux de haute montagne constituent leur réserve pour l’hiver, l’extraction de 180 000 m3 de roche n’aurait nullement perturbé la faune. Les allers et retours des camions sur les pistes de terre auraient été très encadrés. L’acheminement de 61 rouleaux de 200 mètres d’une toile industrielle se serait fait par hélicoptère dans la plus grande quiétude. Christian Reverbel explique que, pour remplir le « lac », « de l’eau [sera pulvérisée] dès la prochaine saison pendant 10 heures chaque nuit », mais l’opération restera très discrète (le travail sera probablement effectué par des marmottes bénévoles transportant 165 millions d’arrosoirs d’un litre). Le bassin, une fois rempli, fera stagner d’importants volumes d’eau, des bactéries proliféreront, mais cela ne devrait pas poser de problème, ni pour la faune, ni pour la flore, ni pour les villages en aval. Sur le plan hydrologique, l’écoulement des ruisseaux sera perturbé, mais, de l’avis général, l’importance de la microbiologie dans l’équilibre des écosystèmes serait surfaite. La neige artificielle a une densité cinq à dix fois plus importante que la vraie neige, ce qui accélère l’érosion, mais géologiquement parlant, cela reste moins impactant que la chute d’une météorite. Après les travaux, le site de Sarenne, qui s’étage de 3300 mètres à 1500 mètres, sera nettement plus fréquenté en hiver, notamment par les pratiquants du ski avec ramassage en hélicoptère ; ce qui nuira aux chamois, bouquetins, tétras lyre, lagopèdes, etc, mais, d’un autre côté, ces ventes de forfait à la chaîne sont le seul moyen de faire en sorte que la SATA rentabilise les millions d’euros versés par… les contribuables ? D’ailleurs, après maintes recherches, impossible de savoir qui finance le programme d’enneigement de 22 millions d’euros de la piste La Sarenne (le prix d’un stade high-tech de 20 000 places) ; mais Christian Reverbel offre des indices en précisant que « l’Etat a été naturellement associé à la démarche ». Autrement dit, les contribuables paient naturellement leurs impôts pour aider les stations de ski à recouvrir les montagnes.
Ajoutés aux 900 autres canons de la station, les nouveaux canons à neige alimentés par le bassin devraient parfaitement s’intégrer au paysage (c’est du moins ce qu’affirme France Inter). Cet argument esthétique contrebalance sans doute l’impact des dépenses énergétiques corrélées au projet (les canons à neige consomment, en France, plus du quart de la production d’un réacteur nucléaire).
Un chercheur spécialisé dans le domaine pointe que de la neige est prise sur le glacier de Sarenne pour pallier les zones sans neige, ce qui est « grave, car cela accélère le recul du glacier » (alors que la SATA prétend lutter contre ce recul !) De plus, « le glacier de Sarenne est un glacier de référence pour les Alpes depuis 1950, et si le glacier est modifié, il ne peut donc plus servir de référence internationale ». Le scientifique interrogé ne comprend pas « comment les chercheurs du CEMAGREF peuvent être favorables à ce projet », car « ce sont ces mêmes chercheurs qui déplorent, dans leurs publications, la destruction des zones humides induite par la construction des retenues collinaires ». De sérieux doutes subsistent donc quant à la pertinence de cette référence au CEMAGREF. De plus, « plusieurs études montrent que l'enneigement artificiel et toute infrastructure comme les téléphériques sur les glaciers augmentent le recul des glaciers. On suppose même que les glaciers reculeraient deux fois plus vite à cause de la fonte accélérée autour des infrastructures. » Lorsque des études déplaisent aux industriels du ski, des présidents d’université demandent aux chercheurs de se taire, voire de démissionner, mais ces affaires intéressent apparemment moins les médias que les brochures publicitaires.
Christian Reverbel serait, selon l’Essor, le directeur des pistes de l’Alpe d’Huez depuis 1970. Il aurait donc été un acteur central, notamment durant les sulfureuses années Cupillard, du développement d’une station qui consommerait plus d’un million de litres de gasoil par an. Mais cela n’empêche pas France 3 d’affirmer que « l’environnement est une priorité » pour Reverbel. Selon le Dauphiné Libéré, le directeur des pistes de l’Alpe est même « au chevet » du glacier, et serait sur le point de le sauver en y greffant sa station de ski. À n’en pas douter, ce nouveau « lac » de 7 millions d’euros, avec fond en plastique, s’adresse aux chercheurs et aux « amoureux de la nature » ; et Reverbel sera bientôt ministre de l’Ecologie.
En savoir plus : L’extension de l’Alpe d’Huez par Sarenne commence. Le côté obscur de l’or blanc. MS