Passage du Tour de France 2013 au Col de Sarenne : notre bilan
Contre l’avis des 12220 signataires de notre pétition, le Tour de France est passé au Col de Sarenne le 18 juillet, sur une route pastorale limitée à 20 km/h, dans un environnement fragile et préservé. Depuis octobre 2012, nous nous sommes mobilisés contre ce passage. Notre action n’a pas été inutile : elle a permis de réduire les travaux réalisés à la demande des organisateurs du Tour de France, d’interdire l’accès d’une zone protégée au public de l'étape, de restreindre les zones de survol des hélicoptères (il y a des nids de rapaces à proximité du Col), et de faire passer un message sur la fragilité d'un site sauvage menacé par l'industrie du ski.
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Avec Mountain Wilderness, nous avons donc observé le passage du Tour de France au Col de Sarenne.
Nous remercions la Préfecture d’avoir été à l’écoute de notre attente concernant la respect de la zone protégée par l’arrêté préfectoral de biotope. (1) Le balisage était parfait, s'étendait même au-delà de la zone, et des panneaux indicatifs étaient cloués sur les poteaux tous les 20 mètres. Grâce à ce dispositif et grâce à la vigilance de la gendarmerie, aucun spectateur n’est entré dans le périmètre de la zone humide (absolument aucun). Comme nous lui avons demandé, l’Etat a fait respecter la loi, tous les pétitionnaires sont reconnaissants, et l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages n’engagera donc aucune poursuite judiciaire. Si la Préfecture avait annoncé plus tôt aux pétitionnaires et aux associations qu’un tel dispositif serait mis en place, nos inquiétudes auraient été moins importantes.
Pour éviter le stationnement des véhicules de spectateurs, alors qu’il était encore question au mois de mai de fermer la route 1 ou 2 jour(s) avant le passage des coureurs, la route a été fermée 6 jours avant le passage du Tour de France. Une « barrière levante » a été construite pour l'occasion. Notre protestation a fait pression sur l'encadrement de la course, et ces mesures ont permis d’éviter de nombreux débordements.
Le directeur de l'Office du Tourisme d'Alpe Huez expliquait, en octobre dernier, en parlant des spectateurs, qu' « à un moment, on n’arrive plus à les mettre… sur trois, quatre, cinq rangs », et que les spectateurs en excès, ils « pourr[ont] les mettre sur la montée » de Sarenne. Nous étions très inquiets sur ce point ; et à juste titre puisqu’en octobre dernier, certains prévoyaient 2 millions de spectateurs à l’Alpe d’Huez, et le maire avait lui-même déclaré qu’il y aurait « certainement beaucoup de monde vers le col » de Sarenne. Au final, dans la montée de Sarenne, la foule était relativement peu importante, et nous nous en réjouissons. Il était difficile d’évaluer le nombre de spectateurs qui serait présent à Sarenne ; vu le nombre de « sacs poubelles » accrochés et le nombre de gendarmes, nous pensons que les organisateurs attendaient plus de monde sur le Col.
Le fait d’avoir fermé la route aux voitures 7 kilomètres avant le Col a dissuadé certains spectateurs (une heure de marche ou vingt minutes de vélo étaient nécessaires pour se placer dans la montée de Sarenne). L'Association pour le Protection des Animaux Sauvages a fait part de son intention de donner des poursuites juridiques à cette affaire en cas de non-respect de la tranquillité de la zone humide ; et la foule n'a vraiment pas été incitée à aller au Col. Ainsi, au niveau de la barrière fermant la route aux voitures, un agent expliquait qu'en cas d'orage, il serait "très dangereux" de se trouver au Col de Sarenne (à cause de la foudre).
Bien que nous ne sachions pas si une personnalité scientifique qualifiée dans le domaine des tourbières a donné son avis sur le passage du Tour au Col de Sarenne (et nous regrettons de n'avoir pas obtenu de réponse), la gendarmerie a efficacement veillé à ce que « la tranquillité des biotopes » et le « repos de plusieurs espèces animales protégées » soient respectés.
Mais ne faisons pas abstraction du contexte : la foule aurait pu être plus importante, car il faut savoir que le jour J, jusqu’à 13 heures, il pleuvait au Col de Sarenne et qu’un orage était annoncé. Le veille et le jour J, plusieurs agents et spectateurs nous ont dit que le Tour risquait de ne pas passer à Sarenne. La rumeur était forte : le matin au Col (et à la barrière mise en place en aval), beaucoup se demandaient si le Tour allait passer à Sarenne, car, sous la pression de plusieurs coureurs, les organisateurs avaient déclaré, la veille, qu’en cas de pluie, la descente étant dangereuse*, le passage à Sarenne pourrait être annulé. (2) Cette rumeur a incité des spectateurs à ne pas aller au Col, et à rester du côté d’Huez pour être sûr de voir les coureurs. Un orage était prévu, et le tonnerre a grondé une heure après le passage des coureurs.
Au final, par un concours de circonstances, l'affluence du public au Col de Sarenne a très bien été maîtrisée. Mais si la météo avait été plus clémente, la foule aurait été plus importante, et aurait sans doute pu empiéter et perturber la faune de la zone humide protégée (et ce, peut-être sans l'avis préalable d'une personnalité scientifique qualifiée dans le domaine des tourbières - comme l'exige l'arrêté préfectoral).
Certains coureurs ont jeté des bidons et des canettes sur le bord de la route pastorale. Nous avons veillé à limiter au maximum les inscriptions sur le bitume. Comme prévu, la caravane n'est pas passée sur la route pastorale. Nous avons noté qu’un nombre important de véhicules « de course » est passé sur la route pastorale à une vitesse bien supérieure aux 20 km/h autorisés. Certains d’entre eux avec « la musique à fond ». Toutefois, un effort significatif a été fait du côté du nombre de « véhicules de course » (estimation : peut-être 200 véhicules sur les 2200 véhicules de la course sont passés).
Mountain Wilderness a fait en sorte que le survol des hélicoptères ne soit pas autorisé à proximité des nids de rapaces, mais un hélicoptère a "assez longuement" survolé une grande partie de la zone humide protégée à très basse altitude.
Les jours précédents le passage de l’épreuve, l’affluence au Col de Sarenne était très importante ; et l’impact de la course est loin de se limiter à une journée. Cette année, le Col de Sarenne est nettement plus fréquenté que d'habitude. Une habitante du Freney nous a expliqué que, d’année en année, il y avait de plus en plus de monde sur cette route, et qu'avec le Tour de France qui risque de repasser, cela ne va pas s’arranger.
Concernant les travaux, les purges ont eu un impact sur la faune, et nous signalons la suppression d'une quinzaine de passages à gué qui rend la route beaucoup plus accessible aux voitures. Des habitants des villages de Clavans et du Freney nous ont expliqué que ces passages à gué faisaient office de ralentisseurs ; et que leur suppression (consécutive à la demande des organisateurs du Tour de France) incite les automobilistes (et les cyclistes) à aller plus vite sur une route qui est très dangereuse. Nous rappelons que la route est pastorale, que la vitesse est théoriquement limitée à 20 km/h, et que cette route, fermée 8 à 9 mois sur 12, traverse de nombreuses zones sensibles sur le plan de la faune et de la flore. Nous regrettons que, dans un site aussi fragile, certains travaux soient réalisés à la demande des organisateurs du Tour de France plutôt qu'à la demande de la population.
Toutefois, probablement grâce à notre mobilisation, les travaux ont été moins importants que prévu. En octobre 2012, France 3 annonçait un chantier de 400 à 500 000 euros qui serait engagé à la demande des organisateurs du Tour de France. (4) Le 7 juin 2013, le Président de la Communauté de l’Oisans déclarait avoir abandonné d’importants travaux. (3) En juillet 2013, France 3 nous informait que les travaux avaient finalement coûté 120 000 euros. (5) Nous citons cette phrase de l’Edition Nationale du JT de France 3 du 16 juillet 2013 : "Un temps évoqué la réfection de la route a été abandonnée face à la mobilisation : plusieurs milliers de signatures sur une pétition". (5)(6)
L’impact du Tour de France 2013 sur le Col de Sarenne aurait pu être beaucoup plus important. Nous espérons que le Tour ne repassera pas par ce col (Maxime Monfort, coureur, a déclaré que le tracé par Sarenne n'était "pas digne du Tour de France". Tony Martin, coureur, a déclaré qu'il était irresponsable d'envoyer le peloton à Sarenne).
A l'avenir, nous redoutons une ascension du Tour de France par le versant du Ferrand. Cet environnement doit rester préservé, et nous nous inquiétons, car le maire d’Alpe d’Huez a déclaré que ce premier passage au Col de Sarenne offrait beaucoup de possibilités pour l’avenir. La route de Sarenne est une route pastorale, et doit le rester. N’oublions pas qu’elle se confond avec un chemin de randonnée.
Nous n’avons jamais refusé le dialogue, nous avons reçu de nombreuses insultes tout en ayant la courtoisie de ne pas y répondre. Face à la puissance et à la médiatisation du Tour de France, il fallait être tenace. Notre voix a résonné à l'échelle du pays, et même au-delà. Nous avons orienté les projecteurs sur Sarenne, nous avons mis la pression sur les organisateurs jusqu’au bout, car nous estimions que c’était le seul moyen d’être efficace.
Nous tenons à remercier les 12220 signataires de la pétition, l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages, Mountain Wilderness, la FRAPNA, le Club Alpin Français Grenoble - Oisans, le Parti pour la Décroissance et Europe Ecologie Les Verts-Isère pour leur précieux soutien. Nous tenons également à remercier la Préfecture de l'Isère pour son écoute.
Au-delà du passage du Tour de France au Col de Sarenne, nous faisons part de notre inquiétude, car les projets sont nombreux du côté de Sarenne. Dans le vallon de La Sarenne, adjacent à la route pastorale, un bassin de 165000 m3 va être construit pour alimenter des canons à neige ; son coût ? 5,3 millions d'euros ! D'après le commissaire enquêteur, le programme d'enneigement complet de La Sarenne s'élèverait même à 20 millions d'euros ! (Qui paiera ?) (7) Nous craignons que le site de "Sarenne", qui est interposé entre les stations de l’Alpe d’Huez et des Deux Alpes, perde son caractère sauvage dans les prochaines années. Nous sommes très attachés à une beauté qui, décennie après décennie, se réduit comme nos glaciers ! Nous en avons assez de voir nos montagnes recouvertes de voitures, de remontées mécaniques et de canons à neige !
Certains considèrent peut-être que notre combat a été vain (puisque le Tour de France est passé au Col de Sarenne). Nous avons obtenu des résultats, et nous avons fait passer un message : « La Nature est autre chose qu’un stade ». Pour ma part, je ne regrette rien. Ce sont les petits combats qui font les grandes rivières.
Notre pétition :
http://www.avaaz.org/fr/petition/Non_au_passage_du_Tour_de_France_2013_au_Col_de_Sarenne/
Notre première lettre ouverte au Préfet : http://lebruitduvent.overblog.com/petition-sarenne-au-lettre-ouverte-au-prefet-de-l-iserea
L'article de l'association FRAPNA (page 9) : http://fr.calameo.com/read/000489355aa3c97f1ce51
SOURCES :
(2) http://www.lequipe.fr/Cyclisme-sur-route/Actualites/La-descente-qui-fait-peur/386503
(3) http://lebruitduvent.overblog.com/7juin2013
(6) http://www.france3.fr/jt/12-13/16-07-2013
(7) http://www.isere.gouv.fr/content/download/11402/73889/file/LeFreneyRetenueHerpieRapport.pdf
* De graves accidents de vélo ont déjà eu lieu dans la descente de Sarenne, dont au moins un la veille de l'étape.
Photo 1 : Un des passages à gué avant le Tour / Photo 2 : Même virage après les travaux : suppression d'une quinzaine de passages à gué à la demande des organisateurs / Photo 3 : Balisage de la zone humide protégée / Photo 4 : Nouvelle déco du Col de Sarenne / Photo 5, Photo 6 : embouteillage tout juste acceptable sur la route pastorale / Photo 7 : Un jour avant l'épreuve, juste derrière la barrière de la route pastorale : un parking de camping-cars / Photo 8 : un jour avant l'épreuve, les piétons et les vélos se bousculent vers Sarenne / Photo 9 : Parking de camping-cars entre l'Alpe d'Huez et la route pastorale / Photo 10 : 'y en a des parkings à camping-cars à 1800m ! / Photo 11 : Faire dos au Tour et contempler la vallée du Ferrand !