Bouquetins : en vacciner quelques-uns pour masquer de nouveaux massacres ?
Selon le journal Le Dauphiné Libéré, la préfecture de Haute-Savoie devrait présenter la semaine prochaine au Conseil national de protection de la nature (CNPN) une nouvelle proposition de gestion de l’épizootie de brucellose affectant les bouquetins du massif du Bargy en Haute-Savoie.
Le massif du Bargy serait divisé en plusieurs zones « à l’intérieur desquelles des mesures différentes seraient engagées ». Dans certaines zones (Petit Bargy), les bouquetins seraient capturés et testés ; les animaux réagissant positivement au test sérologique seraient abattus ; les animaux réagissant négativement au test seraient vaccinés et relâchés. Dans les autres zones (Grand Bargy, Jalouvre, Lac de Peyre), tous les animaux non marqués seraient abattus. En conséquence, dans ces secteurs, de nombreux bouquetins indemnes de brucellose seraient tués.
En tant qu’initiateur de la pétition Stop à l’abattage des bouquetins du Bargy, soutenue par plus de 76 000 citoyens, je m’oppose à ce scénario de gestion condamnant, une nouvelle fois, des bouquetins indemnes.
La rédaction d’une thèse sur le sujet m’a permis d’étudier dans le détail la gestion de la brucellose, et plus généralement des maladies transmissibles des animaux aux humains. Après avoir analysé de nombreuses épizooties, j’en arrive à la conclusion que toute campagne d’abattage massif d’animaux sauvages déstabilise une population animale d’une façon totalement imprévisible, ce qui conduit quasi systématiquement à un échec de l’éradication de la maladie visée (tuberculose à Mycobacterium bovis au Royaume-Uni, brucellose dans le Bargy en 2013). À l’inverse, malgré de nombreuses incertitudes, une campagne de vaccination peut conduire à l’élimination d’un agent pathogène dans une population animale sauvage, même de très grande taille (rage sur le territoire français, entre autres). Puisque la vaccination contre la brucellose a déjà fait ses preuves sur des espèces animales très proches des bouquetins (chèvres, moutons), il est probable que la vaccination conduise, à moyen terme, à la quasi disparition de la brucellose dans le massif du Bargy (et ce, sans abattage d’animaux séropositifs).
Compte tenu de la petite taille de la population de bouquetins atteinte par la brucellose, une campagne de vaccination de l’ensemble des animaux séronégatifs semble réalisable sur une période de quelques années dans le massif du Bargy. Dans le contexte actuel, le risque de transmission de la maladie des bouquetins aux animaux d’élevage est extrêmement faible ; ce que l’ANSES a d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises. Cette absence d’urgence permet de prendre le temps de réaliser une campagne de vaccination en bonne et due forme.
Il faut donc tenter de vacciner les bouquetins du Bargy ; et ce n’est que si (et seulement si) la vaccination est un échec que de nouvelles campagnes d’abattages pourront être légalement envisagées. Que l’on ne me dise pas, encore une fois, que je méconnais le sujet : en 2014, je défendais déjà la vaccination des bouquetins, solution considérée comme utopique par tous, y compris par les associations de protection de l’environnement. La vaccination est aujourd’hui à l’ordre du jour : il y a peu, des bouquetins ont, pour la première fois, été vaccinés contre la brucellose. Je n’avais pas tort d’y croire, et mes arguments étaient bien plus sensés que ceux d’un préfet qui voulait abattre tous les bouquetins du massif du Bargy au risque de disséminer l’épizootie !
Les bouquetins sont des animaux protégés. Leur abattage est interdit par la loi française. L’article L. 411-2-4° du code de l’environnement stipule que les dérogations aux interdictions encadrant le statut de protection du Bouquetin des Alpes ne peuvent être délivrées que s’ « il n’existe pas d'autre solution satisfaisante ». De toute évidence, la vaccination est une solution plus satisfaisante que l’abattage. En conséquence, toute décision d’abattage de bouquetin séronégatif (voire de bouquetin séropositif) serait, à ce jour, contraire à la loi, et engendrerait une nouvelle action en justice, qui serait soutenue par de nombreux citoyens.
Pour rappel, bien loin des projecteurs médiatiques et après avoir essuyé un refus de soutien des associations locales (et subventionnées), nous n’étions que trois à avoir initié, contre le précédent préfet, une action en justice suite aux abattages massifs de 2013, ayant éliminé 197 bouquetins en 2 jours. Une fois le mal fait, la justice nous a donné raison. La loi (l'article L. 411-2-4°) est de notre côté. L’État nous est redevable. Forts de cette jurisprudence, nous serons désormais très nombreux à nous opposer au renouvellement des erreurs du passé. Les bouquetins sont des animaux rares et protégés, pas des animaux de boucherie.
MS, le 05/03/2017.